La solennité du Sacré-Cœur qui sera célébrée le 11 juin prochain, attire notre regard vers le cœur transpercé du Christ sur la croix. Ce cœur qui se donne à voir comme blessure, s’offre à nous comme la réalisation d’une promesse de Dieu chez les prophètes : un cœur de chair.
Il nous est bon de revisiter ces prophètes qui ont vécu et transmis l’espérance dans un contexte où tout semblait perdu. En effet, lorsque le Temple est détruit et que l’alliance apparait comme un échec, le prophète Jérémie, appuyé sur la fidélité de Dieu qu’il sait plus forte que n’importe quel échec, envisage la manière dont Dieu va faire du neuf. Le prophète se rappelle alors que par le passé, lorsqu’il avait été question d’une reforme spirituelle profonde, théologique, le roi édictait des lois qu’il ordonnait de graver sur la pierre pour montrer la pérennité de ses décisions. Jérémie, qui veut transmettre un message d’espérance au peuple éprouvé, va lui dire que désormais Dieu va graver sa Loi au plus intime : « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur » (Cf. Jr 31,33). Nous ne pouvons que nous émerveiller d’un tel message d’espérance, lorsqu’on sait combien ce prophète, qui avait touché le fond du désespoir par rapport à Dieu et à son ministère dans l’épreuve de l’échec de l’appel à la conversion du peuple, a-t-il pu rebondir au sommet de la crise… Lui qui avait fait le constat amer de l’engagement du peuple dans le mal (l’injustice et l’idolâtrie) inscrit sur le cœur : « La faute de Juda est écrite avec un burin de fer, à la pointe de diamant ; elle est gravée sur la table de leur cœur et sur les cornes de leurs autels » (17, 1) ou encore : « Le cœur est rusé, plus que tout, et pervers, qui peut le pénétrer ? » (17, 9).
Le prophète Ezéchiel, qui prend la relève de Jérémie, intervient dans un contexte de déportation à Babylone, dénonce le péché du peuple et introduit la notion morale de responsabilité personnelle qui est à la base d’une nouvelle espérance pour le « petit reste » (Ez. 14, 13-23). Ainsi, Ezéchiel face à la dureté du peuple va se dire que Dieu aura beau inscrire sa Loi sur le cœur de l’homme, si celui-ci a un cœur de pierre cela ne servira à rien ! Pour le prophète, la nouvelle alliance implique un renouvèlement du cœur de l’homme et pour cela il faut que Dieu intervienne : « Et je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair » (Ez. 36,26)
Si Jérémie ou Ezéchiel, comme d’ailleurs d’autres prophètes, étaient restés figés sur le constat du péché du peuple obstiné, auraient-ils pu délivrer un tel message d’espérance ? Certainement pas, sinon ils auraient sombré dans le désespoir ! Si les prophètes ont pu envisager du neuf,c’est grâce à la conviction que l’amour indéfectible de Dieu a le dernier mot : « Je t’aime d’un amour d’éternité, aussi c’est par amitié que je t’attire vers Moi » (Jr 31, 3).
L’évocation d’un cœur de chair nous laisse entrevoir le retour à une harmonie rompue par la division causée par le péché dont les conséquences l’ont « pétrifié » (un cœur de pierre). C’est le cœur, comme cette partie de nous-mêmes, qui va permettre de réaliser une unification de toutes nos dimensions affectives, émotionnelles, corporelles, intellectuelles ainsi que les différentes expériences que chacun fait dans ce monde. Ne sommes-nous pas là devant une mission, un travail qui est au centre de notre vocation d’amour et de réparation ? Dieu le Père nous a fait en Jésus-Christ le cadeau de retrouver l’unité en nous réconciliant avec lui, c’est ainsi que nous pouvons participer à son projet de devenir « un » (Jn 17) en faisant grandir dans nos cœurs et autour de nous la réconciliation, la paix, la communion (Cf. Cts n 8)
Pour ce faire, contempler le Cœur de chair de Jésus est vital pour nous car cette contemplation continue à nourrir en nous l’engagement qui s’inspire de la profonde compassion du Christ. En effet, qu’est-ce qu’un cœur de chair sinon un cœur capable de se poser sur la misère, sur la fragilité humaine ? Comme l’exprime le pape François : « Le Christ n’est pas passé indemne à côté des misères du monde : chaque fois qu’il percevait une solitude, une douleur du corps ou de l’esprit, il éprouvait un profond sentiment de compassion [1]». C’est cette compassion qui pousse le Samaritain à s’approcher de l’homme blessé au bord du chemin, alors que les autres ont le cœur dur…Nous avons besoin de ce cœur de chair pour nous laisser toucher, affecter par nos frères et sœurs en humanité qui sont pour nous des frères et des sœurs pour lesquels le Christ a donné sa vie : C’est une fraternité « sauvé », « guérie » par la croix. Pour être au service de cette fraternité il nous faut habiller notre cœur des sentiments qui étaient en Jésus-Christ :
« S’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres. Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » […] (Ph 2)
Que le Ressuscité, par la plaie de son côté ouvert nous introduise dans le cœur du Père pour que sa tendresse façonne en nous un cœur de chair. Qu’il nous donne d’accueillir son amour, de l’aimer et de le faire aimer.
Sœur Beny Gamallo, scj, Supérieure générale
[1] Pape François, Audience générale du 18 février 2019